"l'amour, c'est une occupation de l'espace" (Henri Michaux)

Publié le par Sylvain Altazin (Dionys)


A
phorismes, fragments, poèmes, textes brefs... Tour à tour politiques et poétiques. Un extrait de Passages :

"Une de mes joies de toujours, c'est dans un état détaché, souvent sorti d'un découragement, de contempler un entassement non panoramique des efforts de l'humanité. Je prends donc un dictionnaire. Tous ces bourgeons humains, dans leur foule alphabétique (je ne lis aucune définition) bien plus qu'aucune grande idée, m'émeuvent et m'agrandissent tout en m'humiliant justement.
Etincelles du monde du dehors et du dedans, j'y contemple la multitude d'être homme, la vie aux infinies impressions et vouloir être, et j'observe que ce n'est pas en vain que le monde humain existe. Même je succombe bientôt à ces myriades d'orbites.
C'est ensuite sur cet horizon de fuyants, de pousses, de miroirs, de fruits et d'approximations que, après un certain temps, me rassemblant, je prends goût à fixer à mon tour quelques unes de mes ombres que je crois voir plus nettes en cet instant.
Et j'écris.
Bien peu importe alors le comment et le pourquoi, mais il me devient pressant de conduire à mon tour quelque équipage à travers l'infini moutonnement des possibles. Petit cortège que le mien, mais qui, sur ce fond vaste et infiniment glissant, marche pour moi d'un pas si étrangement accentué, d'un pas qui frappe le silence d'un accent inégalable.
J'ai le besoin périodique de me perdre et d'ainsi me rafraichir. Dieu sait pourtant que je ne cours pas après un grand nombre de vocables pour en devenir propriétaire. C'est proprement l'opposé.
J'aime ces voix nombreuses, pas à moi, leur petit son, leur petit sens pétillant un instant à la tête, pour redisparaître en lieu étranger où je ne les retrouverai plus.
Et mon impression est aussi de beaucoup de crocs-en-jambe..." (Henri Michaux, Passages, p. 23-25, NRF.

Publié dans ARTS ET LITTERATURE

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