Critique de Tarnation (Jonathan Caouette)
Le cinéma, à son stade de conception comme à celui de projection, semble quant à lui se situer, par rapport à la littérature, à un degré plus proche de la réalité mais aussi du rêve (quasi-ubiquité des plans) et donc de lexpérience humaine. Le film autoréférentiel (1) ne saurait cependant saffranchir du fictif (fictus, p.p. de fingere : feindre), quil cultive dailleurs vertueusement.
Comme latteste le montage kaléidoscopique de Tarnation (1), réalisé par Jonathan Caouette (31 ans), où se bousculent nerveusement photographies, messages de répondeur téléphonique, enregistrements audio, clips, extraits d'émissions de télé et bien sûr des lambeaux de films super-8 et de séquences vidéo, le tout accumulé par lauteur depuis lâge de dix ans. Des images heurtées, découpées, déchirées, recousues de cicatrices, à grand renfort de titres, intertitres et sous-titres quaccompagne une bande sonore mêlant rock et cris, off et in, rires et pleurs. Les 160 heures de films initialement vouées à un usage strictement privé doivent leur sortie en salle (sous un format d1 h 30) à linsistance de ses proches et au parrainage de Gus Van Sant. Mais surtout à lamour dun fils pour sa mère cette dernière venant tout juste de subir une overdose de lithium élément originel et fondateur.
Caouette part dès lors en quête des sources du mal de sa mère, de son mal à lui. Pour cela il enfante une uvre (fantasme de lauto-engendrement) dont il est à la fois le père et le fils, lauteur, le narrateur et lacteur. Récit des origines , récit davant la naissance : au commencement étaient Rosemary et Adolph qui donnèrent vie à la mère de Jonathan, Renée Le Blanc, dont la beauté fit delle légérie des photographes. Puis survient la chute. Sensuivent la paralysie, les premiers électrochocs, la fuite de Steve Caouette du domicile conjugal peu après la naissance de Jonathan, les séjours répétés de sa mère en hôpital psychiatrique, devenue maniaco-dépressive, des familles de placement qui battent lenfant, et les grands-parents à qui incombent désormais la tutelle. La personnalité du jeune Jonathan sen trouve alors exacerbée : une homosexualité qui se dévoile dès le plus jeune âge, un dédoublement de la personnalité (confusion du réel et de lirréel) se manifestant par un goût effréné pour le travestissement et le théâtre dune part, le cinéma de lautre. « Gamin, ma caméra était un bouclier et une illumination », confie-t-il.
Le résultat, troublant, proche de lonirisme est un portrait d'écorché vif, décomposé, démultiplié et se livrant en pâture à une folie à la fois exhibitionniste et cathartique. Luvre, comme chez Montaigne se veut le lieu unitaire et syncrétique du volubile, du discordant, de cette mosaïque de je et de tous ces monstres quelle entend brider alors même quelle les a engendrés.
Toutefois, dans ce chaos sonore et visuel simmiscent des plages lentes et silencieuses. Comme cette scène où Jonathan, savançant calmement en direction de Renée endormie sur un canapé, vient poser son doigt sur la partie supérieure de la lèvre de sa mère. Echo à la narration du grand-père sur les anges qui effectuaient un geste similaire sur êtres avant quils sincarnent, leur faisant oublier leur vision idéale et divine. Oublier, simplement.
(2) Contraction, en argot texan, de « eternal » et « damnation » : enfer éternel. Il sagit du premier long métrage à avoir été entièrement post-produit avec iMovie pour la modique somme de 218,32 dollars.