Critique comparée de Struggle et de Morasseix

Publié le par dionys romuald

 

Struggle Réalisation et scénario : Ruth Mader / Avec Aleksandra Justa, Gottfried Breitfuss / Production : Struggle Films ; Amour Fou / Distribution : Zootrope Films / Durée : 1 h 14
Morasseix Réalisation : Damien Odoul / Scénario : Damien Odoul et Antoine Lacomblez / Avec Damien Odoul, Audrey Bellessort, Valérie Allain, Pascal Pagnat / Production : D.O.Films et ARTE / Distribution : Théâtre du Temple / Durée : 1 h 31

La convergence de fait entre la finalité d’une bande annonce et celle d’un spot publicitaire se retrouve parfois sur le plan de la mise en scène. De sorte que, pendant le moment précédant la projection d’un film, le passage de l’une à l’autre se fasse sans trop de heurts dans une sorte de connivence et d’allégeance mutuelles, suscitant bientôt chez certains le fameux « temps de cerveau humain disponible » cher à Patrick Le Lay.

 


Il est fort heureusement de nombreuses exceptions, à l’image de Struggle et Morasseix (1) , deux films réunies de manière partiale le temps d’un article. Deux bandes annonces d’abord.
Celle de Struggle est un split screen (2) qui allie malaise et claustration. A gauche : trois manutentionnaires de sexe féminin, dont Ewa la protagoniste, chacune astiquant des figurines avant de les disposer dans des boîtes, gestes mécaniques et anonymes. A droite : Marold le deuxième personnage du film, un quadragénaire pansu et calvitieux qui, sous le regard d’un homme costard-cravate et d’un autre vêtu des pieds à la tête d’une combinaison de cuir noir (tout droit échappé de Pulp Fiction), se déshabille avant de se mettre une corde au coup.
La bande annonce du premier film de Damien Odoul nous ancre, quant à elle, dans le grotesque viril, brutal et fangeux d’une mêlée de rugby qui dégénère rapidement en un déridage collectif. Une véritable pagaille villageoise sur fond de rock’n’roll.
Deux univers donc. Deux traitements du désespoir aussi.
Struggle, en une série de tableaux incisifs, découpe au scalpel quelques morceaux de la vie d’Ewa, jeune mère dans le dénuement, venue de Pologne avec sa fillette travailler clandestinement en Autriche, multipliant les boulots minables et aliénants (3) (cueillette des fraises, éviscération des gallinacés dans une usine d'abattage, décrassage de la piscine d'une famille bourgeoise, etc.) et de Marold, agent immobilier divorcé que l’on voit conduire une grosse berline en écoutant des tubes désuets, languir dans l’inaction au milieu d’immenses appartements vides (4) et tenter d’échapper à l’ennui en s’offrant des soirées sadomasochistes et exhibitionnistes. Au sein d’un capitalisme sur le point d’imploser sourdent la servitude et l’humiliation sur fond de lutte pour la survie, et la servitude et l’humiliation sur fond d’oisiveté et de quête de jouissance (sexuelle).
Cette recherche libre et effrénée de la jouissance dans un « monde ennuyé » (5) éclate de manière burlesque dans Morasseix, du nom d’un village de nulle part, royaume des ploucs, fêlés, jouvenceaux, voleurs et autres ivrognes : personnages tour à tour violents et innocents. César (Damien Odoul), roi sans divertissements, anarchiste pyromane et cambrioleur, s’amusant d’un rien avec légèreté et insouciance, cherchant à réconcilier tout le monde et refusant l’amour, erre nonchalamment dans cette histoire, immense grimace en forme de rire adressée à la face du tragique où même la mort se trouve dépossédée de tout caractère sérieux.
Tandis que le film de Ruth Mader en permettant la rencontre et l’idylle de Marold et d’Ewa – nous apprenant par une ellipse que cette dernière s’est finalement résignée au mercantilisme sexuelle – signe la victoire de la soumission sur la lutte. Ce qui, compte tenu de la situation politique autrichienne et à l’aune des propos d’Elfriede Jelinek, dernier prix Nobel de littérature, semble se parer d’une couleur pamphlétaire.
Cultivant tantôt la distanciation comique, tantôt le cynisme, ces deux œuvres, chacune à leur manière sont le reflet d’une époque qui n’a - comble de la désespérance - pas le droit au tragique ni à sa valeur cathartique.

(1) Struggle est le premier long métrage de son auteur. Idem pour Morasseix, réalisé en 1992 et sorti pour la première fois le 13 octobre dernier. Il s’agit du premier volet de ce que Damien Odoul nomme une "trilogie du double", et qui se poursuit avec Le Souffle (2001) et Errance (2003).
(2) Procédé magnifié par Brian de Palma dans la scène du bal de Carrie et consistant à diviser l’écran en plusieurs parties, ici en l’occurrence deux.
(3) Du moins montrés comme tels dans le film, les trajets d’Ewa faisant parfois songer au transport d’une marchandise.
(4) Lesquels, par métonymie, corrobore le sentiment d’une certaine vacuité de l’existence.
(5) « Bénédiction » in Les Fleurs du mal (Baudelaire)


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Publié dans CINEMATOGRAPHE

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